La justice lance un point de contact pour retrouver des victimes de la traite des êtres humains

L'actualité a récemment montré que la lutte contre la traite des êtres humains est loin d'être terminée. Les victimes ont encore trop souvent peur de porter plainte. C'est pourquoi le SPF Justice a mis en place un point de contact à la demande notamment des associations de prise en charge des victimes. Le 30 juillet, Journée mondiale de la lutte contre la traite d'êtres humains, est le moment idéal pour lancer le site web stoptraite.be/fr. Trois enquêteurs de la Police Intégrée témoignent de l'approche du phénomène.

Campagne Blue Heart

Dans une première phase, le site web sert, d'une part, à fournir des informations sur la traite des êtres humains. D'autre part, les victimes ou les témoins de ce phénomène peuvent signaler des faits via un formulaire en ligne par un simple clic sur le bouton : Obtenir de l'aide : ‘je suis une victime’ ou ‘je connais une victime potentielle’. D'ici la fin 2022, un numéro de téléphone central sera également disponible pour les victimes ou les témoins.

Dans une troisième phase, vraisemblablement en 2023, un système back end sera mis en place, auquel des policiers, d’autres services de première ligne et les services de secours  auront accès afin de procéder aux enregistrements. Ils pourront par ce biais aussi obtenir des informations spécifiques qui ne seront pas diffusées publiquement mais limitées aux personnes disposant du login adéquat.

Au sein de la Police Intégrée, plusieurs services luttent depuis longtemps contre la traite des êtres humains. Nous vous présentons ici trois témoignages de la Police Locale et de la Police Judiciaire Fédérale.

 

Le premier inspecteur principal Johan Debuf, chef de la section Traite des êtres humains, est le fonctionnaire de référence en la matière pour la zone de police de Bruxelles-Nord (ZP PolBRUNO) 

« La section Traite des êtres humains de la Police Locale de Bruxelles-Nord est active tant au niveau judiciaire qu'administratif. Sur le plan administratif, nous effectuons des contrôles dans le cadre des règlements communaux de police, au profit du service de police administrative des communes. Ces contrôles sont combinés au volet judiciaire, notre service d'enquête proactif, à partir duquel les situations pour lesquelles nous suspectons la présence d’une victime potentielle de la traite des êtres humains peuvent faire l'objet d'une enquête plus approfondie afin d'aboutir à un dossier judiciaire bien fondé. Nous donnons également suite à toute plainte ou tout signalement de faits relatifs à la traite ou au trafic d’êtres humains, lorsqu'il existe des indices sérieux. La détection, qu’elle soit effectuée par nous-mêmes et/ou par des tiers, est extrêmement importante. Dans chaque cas ou suspicion de traite ou de trafic d’êtres humains, l'intérêt de la victime est primordial et reste au centre de nos préoccupations. »

« Le travail au sein du point de contact pour les victimes de la traite des êtres humains sera assuré par du personnel des différents centres d'accueil (Pag-Asa à Bruxelles, Payoke à Anvers et Sürya à Liège, ndlr). Il s’agira là d’un premier filtre pour évaluer l'urgence, c'est-à-dire le degré de danger pour l'intégrité physique de la victime potentielle, et pour localiser les faits signalés. En fonction de l'urgence, on peut alors éventuellement envisager une demande d'intervention de la police ou au moins une vérification par un service de police ou d’inspection sociale. Dans les cas moins urgents, les centres eux-mêmes peuvent d'abord procéder à l'enregistrement de la victime  (avec un délai de réflexion de 45 jours comme le prévoit la circulaire) avant qu'une plainte ne soit déposée auprès de la police, ce qui nous ramène au mode de fonctionnement traditionnel. »

 

Le premier commissaire Filip Bovyn est le chef de service de la section Traite des êtres humains, trafic d'êtres humains et fraude sociale de la Police Judiciaire Fédérale (PJF) d'Anvers.

« La section que je dirige enquête principalement sur les infractions en matière de traite des êtres humains, de trafic d’êtres humains, de fraude sociale et d’exploitation économique. En ce qui concerne la traite des êtres humains, elle couvre ce phénomène sous toutes ses formes, telles que l'exploitation sexuelle, l'exploitation économique, le commerce illégal d'organes, l'exploitation de la mendicité et la commission forcée de délits. L'exploitation sexuelle et l’exploitation économique sont de loin les plus courantes. »

« Dès que nous avons connaissance d'indices de traite des êtres humains, nous nous mettons au travail. À cet égard, nous adoptons deux principes. D'une part, nous nous concentrons sur l'organisation qui commet ces faits en identifiant toutes les personnes impliquées et leurs rôles respectifs. À cette fin, nous recueillons les preuves de ces faits et de l'implication des auteurs afin de constituer un dossier bien ficelé avant d'intervenir. Nous nous servons pour cela de tous les moyens possibles, tels que des constatations physiques, des déclarations de témoins, des enquêtes de téléphonie et des écoutes téléphoniques... mais nous recourons également à des techniques particulières.  Lorsque les circonstances le permettent, nous ouvrons simultanément une enquête patrimoniale afin de pouvoir procéder, le cas échéant, à une saisie des avantages patrimoniaux illégaux. »

« D'autre part, nous essayons d'identifier toutes les victimes et de les sortir du circuit criminel après notre intervention. Ce n'est pas si facile. Nous sommes régulièrement confrontés à des victimes qui « ne veulent pas être des victimes » ou « ne se considèrent pas comme des victimes ». Elles ont souvent d'autres valeurs et normes, par exemple, en matière de sexualité ou d'éthique professionnelle, ou elles ont été tellement endoctrinées qu'elles ne se rendent pas compte qu'elles sont bel et bien des victimes. Elles ne coopèrent d’ailleurs que rarement au cours de l'enquête et ne veulent pas accepter le statut de « victime de la traite des êtres humains ». Même lorsqu'elles reconnaissent être victimes, le seuil à franchir pour aller à la rencontre des services de police, et même des services sociaux, reste encore très élevé. »

« Au sein de la ville d'Anvers, nous entretenons de bonnes relations avec l'équipe de la zone de police d’Anvers chargée de la lutte contre la prostitution, ainsi qu'avec le fonctionnaire « prostitution » de la ville. Ils sont nos yeux et nos oreilles sur le terrain. »

« En ce qui concerne la prise en charge des victimes, nous collaborons souvent avec les centres agréés. Compte tenu de la réalité géographique, nous nous adressons bien sûr principalement à Payoke, qui s'occupe de la prise en charge et de l’accompagnement des victimes. »

« Étant donné que des délits tels que le trafic et la traite des êtres humains, bien que très différents en soi, se produisent souvent ensemble, nous traitons les deux phénomènes au sein de la même section, ici à la PJF d’Anvers. Nous constatons en effet que des victimes sont parfois d'abord acheminées clandestinement en Europe en vue d’y être exploitées par la suite. »

« La création du point de contact pour les victimes de la traite des êtres humains est bien sûr un pas dans la bonne direction.  Cette initiative permettra effectivement d'abaisser le seuil évoqué ci-dessus.  Nous sommes évidemment disposés, et même demandeurs, à traiter des dossiers qui pourraient résulter de signalements via ce forum. »

Vincent Van Quickenborne, vice-Premier ministre et ministre de la Justice : « De nombreuses victimes ne savent pas qu'elles sont exploitées par des trafiquants d'êtres humains parce qu'elles ne connaissent pas leurs droits ni la législation du travail. » D'autre part, elles sont maintenues sous le pouvoir des trafiquants, elles ne savent pas de quelles aides elles peuvent bénéficier ou elles n'osent pas s’adresser à la police. Voilà pourquoi nous avons mis en place ce point de contact central. Nous essayons ainsi de sensibiliser le public, de rendre les formes de traite des êtres humains plus facilement reconnaissables, d'abaisser les seuils qui font obstacle aux plaintes et d'augmenter les chances de signaler ces faits et d'être aidé par un centre. En outre, les centres seront renforcés et leurs budgets seront structurellement ancrés dans la loi. »

À l'occasion de la Journée mondiale de la lutte contre la traite d'êtres humains, le United Nations Office on Drugs and Crime (l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime) a lancé la campagne « Blue Heart » (cœur bleu). Partout en Belgique, des villes illumineront certains de leurs bâtiments en bleu ce samedi 30 juillet.  Des pin’s en forme de cœur bleu pourront également être portés.

Dans les bâtiments de la Police Fédérale, aussi bien au RAC qu’aux Jardins de la Couronne, vous pourrez voir des affiches sur le thème de cette année : « Shine the light on Human Trafficking » (faites la lumière sur la traite des êtres humains).

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